Dans le cadre de la sortie de la deuxième édition du rapport de la Croix-Rouge sur la résilience de la société française consacrée aux événements climatiques extrêmes, Gaël Musquet, spécialiste “prévention des catastrophes naturelles”, nous livre sa vision du modèle vers lequel doivent tendre les sociétés pour renforcer leur résilience. Il est également revenu sur son expérience personnelle en tant que sinistré de l’ouragan Hugo qui avait dévasté la Guadeloupe en 1989 : un événement qui a sans aucun doute orienté son choix de carrière.

  1. Vous dites que les exercices favorisent la cohésion sociale. A la CRf, nous sommes également convaincus que le lien social (milieux familial et professionnel, relations de voisinage, etc...) joue un rôle majeur dans la capacité de la société à se montrer résiliente face aux catastrophes naturelles majeures. Pouvez-vous nous en dire plus ? Que faut-il mettre en place pour le favoriser ? Je suis convaincu qu’il faut miser sur les jeunes et sur la cellule familiale. Si on parle aux jeunes dans l’espace public, dans les écoles, on parle au reste de leur famille. Ils deviennent des ambassadeurs des risques, d’abord à l’échelle de leur cellule familiale, puis à l’échelle de leur quartier. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le Chili en mettant la famille au cœur de ses dispositifs de prévention et de gestion des risques et en faisant de ce sujet une priorité gouvernementale. Les outils et exercices qu’ils ont mis en place, prennent en compte l’ensemble des membres de la cellule familiale, des enfants aux personnes âgées et nécessitent la coordination et la participation de chacun d’entre eux, du plus jeune au plus âgé : une stratégie payante puisque lors d’une alerte tsunami en 2015, ils sont parvenus à évacuer 1,1 million de personnes en seulement 45 minutes. 

  2. Vous êtes météorologue et spécialiste de l'anticipation des catastrophes d'origine naturelle. Si la formation et la sensibilisation des populations est un enjeu majeur, la préparation des acteurs de secours l'est tout autant. Les JNEX mises en place par la CRf ont pour objectif d'être mieux coordonnés en temps de crise. Est-ce un constat que vous partagez ? Quels sont les exercices qu’il faudrait mettre en place ? Investir dans la prévention et la gestion des risques et catastrophes naturelles, c’est faire des économies lorsqu’une crise surviendra demain. Les exercices font partie intégrante de la phase de préparation. Ils sont d’une importance capitale et il nous faut les multiplier à tous les niveaux. Ceux que réalisent les acteurs de l’urgence comme la Croix-Rouge française doivent, selon moi, être nécessairement associés à des exercices grand public. Les acteurs de la sécurité civile sont déjà formés, sensibilisés à la culture du risque. L’enjeu c’est aussi d’aller dans le lycée du coin qui se trouve en zone submersible pour sensibiliser le personnel enseignant et leurs élèves, c’est d’aller former le personnel soignant de l’Ehpad pour qu’il soit en capacité de réagir en cas de crise et de sensibiliser les personnes âgées qu’ils accompagnent, mais c’est aussi d’aller à la rencontre du pêcheur du village pour s’assurer qu’il connaît les signes précurseurs d’un tsunami. Finalement, pour que l’ensemble des citoyens se sentent concernés, il faut qu’on touche à leur quotidien, qu’on leur donne un accès direct aux données et aux outils qui permettent de les collecter. C’est pour cela qu’avec la Fédération du Park numérique, nous mettons en place, en lien avec des associations, des ateliers pour apprendre à des jeunes à fabriquer des stations météos qui sont ensuite installées dans des quartiers, les lieux de passage les plus fréquentés, afin de mettre le sujet des risques climatiques dans leur quotidien. Cela permet à tous les habitants du quartier d'avoir accès aux données en permanence, de faire eux-mêmes les relevés, etc… Ils participent ainsi pleinement et quotidiennement à la phase de préparation.

  3. Vous étiez en Guadeloupe lorsque l'ouragan Hugo a traversé les Antilles en 1989. Quels souvenirs avez-vous de cette crise climatique ? Quel a été le vécu de vos proches ? Cela a-t-il influencé votre choix de carrière ? Oui, à l’époque mon père était particulièrement sensibilisé à la culture du risque de par sa profession, il était formé aux gestes qui sauvent et aux réflexes à adopter dans le cas où un événement climatique surviendrait. Notre maison, que nous venions tout juste de construire, répondait aux normes parasismiques et paracycloniques. Nous avions donc accueilli une autre famille dont le logement n’était pas aussi sûr. Nous étions donc 8 à la maison : 4 adultes et 4 enfants. Malheureusement, notre maison a fini par prendre l’eau après avoir été frappée par un débris d’une taille immense. Nous avons donc tous profité de l’accalmie temporaire provoquée par l'œil de l’ouragan, pour sortir et nous rendre chez des voisins. Une fois sur place, les adultes ont confiné les 4 enfants, dont je faisais partie, dans la seule pièce non vitrée de la maison : les toilettes. Nous y avons passé la nuit, pendant que les adultes eux, tentaient de tenir les fenêtres fermées à la seule force de leurs bras. Nous parlions plus tôt de l’importance de la cohésion sociale dans la résilience des populations. En voici un exemple concret.  Le lendemain, après le passage de l’ouragan, tout le monde était sain et sauf. Et je me souviens que la seule chose qui m'a fait pleurer à ce moment-là, c’était de voir le désespoir dans le regard de mes oncles à la vue de notre maison, qui venait à peine de sortir de terre, balayée par l’ouragan. C’est seulement là que j’ai pris conscience de la gravité de la situation et c’est aussi à ce moment que je me suis dit que je ferai de la résilience des populations face aux catastrophes naturelles, mon métier.

Biographie : Gaël Musquet est un spécialiste de la prévention des catastrophes naturelles et technologiques. Météorologue de formation, il dédie ses travaux à l'utilisation du numérique et des réseaux radio pour mieux préparer les populations. Depuis 12 ans, il sillonne les 3 Océans dans le cadre des exercices de tsunami organisés par l'UNESCO afin de mettre à l'épreuve les standards et matériels d'alerte précoce. Il accompagne ainsi les institutions dans l'utilisation des nouvelles technologies visant à atténuer les effets des désastres auxquels elles sont exposées. Il vulgarise depuis le Campus de l'Espace à Vernon et dans les médias, les moyens de prévention des désastres naturels, technologiques et cyber, pour les jeunes et le grand public.

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